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LE SCOTOMANE VOYEUR


Le mètre archéologue

Ou

Pho

Po

(orthographié pour les zèlenistes) est l'objet par excellence de la photographie scientifique.


Il n'a de pair que le Clinamen, dont le monde entier est le mirador.

Le mètre est la référence absolue du monde extérieur, car il permet à la photographie de se calquer sur celui-ci dans toutes ces dimensions. Voir à ce sujet d'innombrables photographies d'archéologie, ornées chacune obligatoirement d'un bâton bariolé rouge et blanc, comme la ceinture d'un judoka champion.

Spéculons ensemble alors sur ce cordon ombilical de la troisième dimension du monde photographique.



Le mètre de l'univers est nécessaire, le progrès l'implique.

Metron ! ne fais pas de pareils bonds !

Quel est ce bâton sans maître ?

Jouir ainsi du monde extérieur rieur, est-ce unconsolvable ?

Plus-en-moins, moins-en-plus… mais, c'est le Bâton-à-Physique ! Dans les ruines à moitié ensevelies, voyez sa rotation autour de son point médian. Signe plus, signe moins, signe nul, signe un. Phalle et fesses et trou étron. M'omphalle, mes fesses, mon tronc metron. Tu réunis les contraires, tu contraries les unités.



Il est dorénavant criminel d'employer le système impérial en Angleterre : feet, inches, yards, miles, etc. Ceci depuis le 1er octobre 1995 vulgaire, fête des Rakirs et Rastrons. Afin de danser sur les os des soumis, les Archives Nationales proposent une exposition sur le système métrique français à l'Hôtel de Soubise, 60 rue des Francs-Bourgeois, Paris 3e.


Ce n'est pas seulement depuis la Révolution (jolie image géosphérique) que la lutte contre "la bête imprévue" bat son plein. Dès 1670, l'Abbé Gabriel Mouton fixa panurgiquement le mètre à 1,80 m — projet qui fut jeté à l'eau car, vous l'avez deviné, trop ambitieux. Dommage, car 1,80 = 1/1000 du mille (cela s'imposait) marin (une minute sexagésimale du méridien). L'Abbé Jean Picard dans La Mesure de la Terre (1671) usa d'une pendule dont la longueur battrait la seconde — projet certes hypnotisant, mais il aurait fallu déplacer toutes les villes de la terre sur l'Équateur, l'attraction terrestre jouant ses tours habituels. Notons, en passant, que les historiens du metron louent toujours Jefferson pour avoir calculé que le pied cubique d'eau pesait exactement 1000 onces, "ce qui aurait prouvé que la relation poids-longueur existait dans la nature"1, ou, en d'autres mots, que la terre le faisait exprès. Disons plutôt que les mesures humaines s'écoutent, ou que l'anthropométrie l'emporte sur la nature. Ainsi ne jure-t-on que sur mon oeil et mon cul.


L'Académie des sciences en 1791 définit le mètre comme la 10 millionième partie de la distance comprise depuis le pôle jusqu'à l'équateur, ce qui fait disparaître les montagnes et permet aux cartographes d'imprimer des chiffres ronds. Ainsi est-ce la terre qui définit le mètre, puisqu'on est obligé d'envoyer Delambre et Méchain mesurer la terre (et non pas le mètre, bien qu'on sût déjà sa longueur). Quant au mot "mètre", notons en passant le pied levé, que l'estimable Auguste-Savinien Leblond se servait du mot pour désigner 1/345600 degré de grand cercle. Encore un qui savait déjà ce qu'il voulait. Que c'est étrange, que c'est bizarre et quelle coïncidence que ciel et terre nous présentent la même mesure. Leblond ne manqua pas d'humour en baptisant le "pied astronomique", vague rêve de l'âge des Titans. N'empêche que ce n'était qu'en face qu'un foot marquait de tout son ridicule la prétention universelle aux dimensions d'Hercule ; tout aussi fameux que la mesure de poids anglaise, avoirdupois, que presque nul Anglais ne pouvait traduire dans sa tautologie brillante. Mieux encore, le milliarius des Romains, signifiant les mille pas entre deux bornes pour une armée en marche, est lui la perfection deux dimensionnelle, assurée par la phrase d'Ubu : "Gare à qui ne marchera pas droit." (Acte III, scène viii). Avec les Romains, le système de mesure n'est pas défini, il est garanti, et cela par l'ordre militaire. "Il n'y a de salut que le salut militaire", disait encore Julien Torma.


Mais les doctes chercheurs de la Révolution ne se fiaient qu'au monde qui restait toujours pareil à lui-même, comme au XXe siècle vulgaire on cherchera "l'invar", le métal-mètre étalon qui ne changera pas sous les différentes températures (le "mètre" de terre craqua sous pression). La Révolution poursuivit ses travaux et améliorait ses définitions du même mètre, le définissant toujours en termes de "pieds", car on ne balancera l'échelle qu'une fois monté dans le grenier. Le prototype fondu passera du platine à l'invar. Peu importe, le mètre fut redécouvert en 1960. 1650763,73 fois la longueur d'onde de la radiation orangée du krypton 86 (vue à l'état pur dans Superman) = 1 mètre = multiple parfait du méridien de la terre. Depuis 1983 vulgaire, on DÉFINIT le mètre à partir de la vitesse de la lumière dans le vide, ce qui n'est qu'une surenchère méprisable, simple convenance pour les physiciens n'aimant pas les décimaux, et qui fait du mètre un chiffre irrationnel puisque nous travaillons à l'envers pour le définir (nous devrions plutôt dire le "mesurer"). Fini le mètre tout rond.


Spéculons. Cotons ce mètre enfin invariable et garanti internationalement, sinon par la COBB au moins par la 17e Conférence des poids et mesures (bien qu'en l'absence de Boris Vian), et lançons-le dans la bourse des valeurs. Suite à un krach, le mètre pourrait se retrouver à 50 cm, puis suite à d'excellents excédents mensuels, le mètre français pourrait grimper aux environs de 3 m. Il faudrait alors électriser et centraliser les panneaux indicateurs, afin que Paris soit à 130, puis à 5 puis à 2050 km d'Orléans. Pareil pour les photographies numérisées de fouilles archéologiques : suivant le cours du mètre, la règle rouge et blanche de mesure s'allongera ou se ratatinera pour donner la mesure de l'édifice en ruines. Le consommateur ne serait pas touché par ces fluctuations boursières, il en serait enfin hors d'atteinte. Que la brique de lait contienne 1 litre ou 3 cc ou 2000000 m3 de lait, peu importe, le prix resterait invariable.


Qu'on ne vienne pas m'objecter que si le mètre à 13 h ne vaut plus que 97 cm du mètre à l'ouverture de la Bourse de Paris, cela se fait toujours en fonction du centimètre original, invariable, comme un gold standard. Oh que non. Toute nouvelle baisse ou hausse du mètre sera affichée en mètres anciens lors du mouvement spéculateur, puis le tout deviendra UN MÈTRE aussitôt après. Par définition. Sans blagues. Ainsi l'emballeur de lait n'aura point besoin d'afficher un volume sous vide "sous réserve", ou "correct à telle heure tel jour", car les dimensions peuvent être comprises et affichées en NOUVEAUX MÈTRES, car tout mètre sera dorénavant un nouveau mètre. Libre aux fabricants d'indiquer les dimensions de leurs produits dans le marché des "futures", le consommateur tranchera à l'heure des achats au comptoir au comptant.


Comme la face d'une montre qui, sans l'intervention d'un Dali, se présente soit ronde, soit parfaitement plate, mais la plupart du temps ovale, ainsi le mètre a beau être partout lui-même, il varie considérablement suivant la distance. 1 mètre à 1 mètre n'est pas un dixième de 10 mètres à 10 mètres. Le pied seul peut mesurer le "pied". Un mètre seul peut mesurer un mètre. Ainsi le mètre est comme son négatif photographique, tout dépend du grossissement.


La définition du mètre sera inutile ou il ne sera pas.


Toto Pinpon


1. Quid 1994, p. 239c

(c)

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Un mètre tout rond (échelle : un mètre = un mètre)

LE metron