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DISCOURS

D'HABILITATION À DIRIGER DES RECHERCHES OUPHOPIQUES

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RÉFLEXION SUR L’IMAGINAIRE PHOTOLITTÉRAIRE ET LA RÉSISTANCE DU MONDE
DISCOURS D’HABILITATION À DIRIGER DES RECHERCHES OUPHOPIQUES

prononcé à l’université de Reims 
le 7 gidouille 137 E.P. (21 juin 2010, vulg.)
en la fête de S. Bébé Toutout, évangéliste,
devant trente-six pataphysiciens
conscients et inconscients

Lorsque je faisais du baby-sitting pour un professeur de philosophie, celui-ci me posa la question suivante au sujet de son enfant, car il philosophait à tout propos : « How do you know that Timothy is real ? » Je répondis : « Because he resists », le sujet en question étant rétif à l’usage du savon. Cette réplique est adaptée de celle bien connue de Samuel Johnson, qui, pour réfuter devant Boswell les thèses de Berkeley, donnait des coups de pied dans une grosse pierre1. Non seulement la pierre résiste à notre volonté, mais elle fait mal. Ainsi s’oppose le monde à tout ce que nous élaborons dans notre tête. Et c’est ce couple, imaginaire/réalité, qui m’occupe depuis toujours. 
    Imaginaire/réalité, ou art/science, ou encore, littérature/photographie. Il ne s’agit pas d’une opposition binaire, ni même, souvent, d’opposition à proprement parler. Mais d’une exploration critique de l’imaginaire, des mots, des modèles et des images. Afin de découvrir, par exemple, les limites heuristiques du visuel, sachant que les mathématiques proposent des modèles qui ne peuvent pas être visualisés2. 
    Mon approche consiste à débusquer la logique derrière les phénomènes photolittéraires. Il faut une sensibilité aux patterns – mot pour lequel il n’existe pas de traduction française exacte, disons alors « motifs » –, dans l’art comme dans le monde physique. Les ouvrages de Douglas Hofstadter répondent particulièrement bien à mes préoccupations, surtout puisqu’il démontre que les modèles de la cognition s’appliquent à tous les domaines humains. Car le support peut varier, qu’il s’agisse de fiction, de mathématique, de musique, de religion, de comportement social. Partout se trouvent des systèmes logiques inventés de toutes pièces ou élaborés lentement, voire inconsciemment, pour s’accommoder au monde réel. Je cherche les « motifs » et j’utilise des idées-forces.
    J’ai retrouvé des idées-forces, dont j’avais eu l’intuition, dans mes lectures de H.G. Wells et d’Alfred Jarry. Premièrement, la singularité fondamentale de tout phénomène, ce qui rappelle le Clinamen de Lucrèce, mais observée dans la théorie atomique à l’époque de Wells, et adoptée comme principe par celui-ci dans un article maintes fois publié et mis à jour3. Principe adopté également par Marcel Schwob et d’autres encore à la fin du xixe siècle, et plus particulièrement par Jarry dans Faustroll, où la « science du particulier » est définie. (Bruits divers sur le banc du jury.)
    Je m’appuie sur des études de singularités : tel auteur, tel conte, telle illustration. Pour chaque rencontre, il fallait dégager les idées particulières à chaque acteur. Puis, à partir des logiques particulières, je pensais chercher des généralisations, qui permettaient toutefois à chaque élément de garder sa singularité, comme de petits morceaux de fer qui se dispersent autour d’un aimant caché sous une feuille de papier. Depuis Soleil noir4, il est plus aisé de faire des études synthétiques sur l’ensemble du corpus, sur les différences entre les tendances anglo-saxonnes et françaises par exemple, et de mieux articuler l’interaction subtile entre l’individu et les forces historiques. 
    Deuxième idée-force, la relativité de tout phénomène, ou, pour le dire autrement, leur « parité » potentielle. La théorie est énoncée dans Faustroll, lorsque Jarry établit la liste des « livres pairs » du docteur : on y trouve les classiques, la Bible, des ouvrages symbolistes qui venaient de sortir, ainsi que des ouvrages pour enfants. Dans le contexte du roman, ces ouvrages se valent, comme source d’inspiration et comme sujet d’étude. Jarry disait que pour écrire, il lui fallait lire « n’importe quoi », car tout est littérature. Le monde n’aspire pas à figurer dans un livre, il y est déjà. Dans le journalisme de Jarry, on trouve la mise en pratique de l’idée ; dans ses chroniques, on trouve des équivalences entre des domaines qui n’entretiennent pas de relations entre eux – le transport urbain et la zoologie, ou l’armée et l’hypnotisme, ou encore la République et une prostituée. Par ce nivellement, on entrevoit la nature aléatoire des hiérarchies. Cette mise à niveau, appliquée à la littérature, permet surtout de mieux apprécier la paralittérature, et de ne pas mésestimer les traditions folks. Si la face comique de l’idée-force de Jarry est évidente, on ne doit pas oublier son versant sérieux : tout produit culturel est dense, traversé par l’histoire et pétri d’allusions, il fait partie d’un contexte riche, que ce soit un roman, ses illustrations, une pochette de disque5. Il suffit de regarder l’extension du domaine de la littérature sur les mille dernières années, ainsi que l’évolution des études littéraires dans deux générations : de la Grande Tradition nous sommes passés à l’étude des auteurs considérés avant à tort comme mineurs, puis à la littérature comparée, puis à la littérature générale et comparée, cette dernière incluant l’image ; et des « Visual Studies » nous sommes passés aux « Cultural Studies ». Il faut donc continuer à étendre les études extra-textuelles, et voir partout à l’œuvre la littérature, l’art, l’image, l’imaginaire, la science et les « motifs ». 
    Troisième idée-force, l’auto-référentialité. Une anecdote qui remonte au lycée : je lisais un problème, une masse attachée au bout d’un peson à ressort qui décrit des mouvements complexes, et tant la description de la situation de départ se précisait, tant la réponse me semblait cernée par la question. Au lieu d’appliquer les formules relatives à l’élasticité, en sélectionnant les inconnues dans le bon ordre, j’insérai dans l’équation un chiffre au hasard pour voir ce qui en sortirait, puis je réinsérai le résultat jusqu’à l’obtention d’une série d’approximations qui semblait tendre vers une réponse. En fait, la série d’approximations obtenues de cette manière tend effectivement vers ce qu’on appelle un « attracteur étrange », et le professeur a pu m’expliquer les formules récursives, les fractales, la théorie du chaos et ce qu’on appelle « la méthode de Newton », que j’avais trouvée sans réellement comprendre son fonctionnement ou ses applications pratiques. Et si je n’ai pas étudié les mathématiques à l’université, en dehors des livres de vulgarisation, j’ai gardé en tête les modèles liés aux systèmes récursifs. On les retrouve partout, en littérature comme en photographie. 
    Par exemple : un photographe qui fait des illustrations littéraires ne peut pas s’empêcher d’être attiré vers les passages où se trouvent des considérations sur son art. Il se peut que l’auteur en parle explicitement, mais elles peuvent tout aussi bien y être par projection. Henry Peach Robinson, pour ne donner qu’un seul exemple, dresse une liste de citations littéraires touchant à la photographie, dont maints passages de Shakespeare, car Robinson déforme en lisant selon ses propres préoccupations ; de même, lorsqu’il fait des illustrations littéraires, il choisit des scènes où il est question de vision, d’images de rêve, en somme, des passages qui l’interpellent en tant que photographe6. La projection est à l’art ce que la récursivité est aux formules mathématiques. On ne sera donc pas surpris que la projection, comme les rêves, et les poèmes, semblent pouvoir se disséquer à l’infini, comme des fractales. 

*

La distance critique, viscérale, est la condition première du chercheur. La deuxième – sans paradoxe – est la passion. En troisième position, pour moi, viennent certains concepts clés, qui évoluent au fur et à mesure que les recherches progressent. Leur histoire est mon histoire. Raconter leur origine rendra plus claire la démarche scientifique qui est devenue la mienne. Cela commence avec un livre que j’aurais voulu écrire : Collected Thoughts of a Three-Year-Old. Je me souviens encore de mes pensées lorsque j’avais trois ans, cogitant debout devant la baie vitrée. 
    Ma première idée contient en germe plusieurs de mes obsessions subséquentes. Cela commence avec quelques questions banales : pourquoi n’arrivé-je pas à me souvenir de tout ? Quel est mon plus lointain souvenir ? Aujourd’hui, mon plus lointain souvenir, c’est ce moment-là. Je me suis donc intéressé aux conditions de la mémorabilité. Les applications sont nombreuses : comment mémoriser des informations ? Comment faire en sorte qu’un étudiant se rappelle une règle de traductologie ? Réponse : par la ritualisation, ou la théâtralisation. Soit par la répétition, par un dessin récapitulatif ; soit alors en faisant en sorte que l’étudiant devienne conscient de lui-même, par la « distanciation ». Pour revenir au premier point, tout le monde sait que la répétition engendre l’automatisme. Mais j’étais surpris de constater le rôle de la conscience de soi dans la constitution d’un évènement mémorable. Je me suis rendu compte que je me souvenais des moments pendant lesquels je m’étais interrogé sur la mémorabilité de l’événement. Il importait peu que l’événement soit intéressant ou ennuyeux, mais l’ennui aide puisqu’il rend conscient de soi. De même, la qualité mémorable des portraits de Diane Arbus relève de la gêne des sujets qui rend conscient de soi celui qui regarde. Par le biais de la mémoire en tant que sujet de réflexion, j’ai pris conscience du pouvoir de la conscience de soi, et de l’autoréflexivité. 
    Toujours au sujet de la mémoire, je me demandais quelle était la différence entre l’image dans ma mémoire d’un événement passé et celle d’un rêve. Les images des rêves contiennent généralement des impossibilités physiques. Il faut donc connaître ce qui est physiquement possible et ce qui est physiquement impossible. C’est de là que date ma passion pour la science, pour les limites du possible. 
    En attendant, la nuit et les rêves étaient voués à la science-fiction. Je n’ai pas encore eu l’opportunité d’écrire sur le genre, mais j’ai pu effectuer un travail sur « The Time Machine » de Wells grâce aux essais d’Alfred Jarry et de Paul Valéry, en montrant surtout la dette de Jarry aux Conférences scientifiques de Lord Kelvin7. Et puis j’ai travaillé sur la modélisation du temps dans la chronophotographie de Marey et dans la poésie de Valéry8. Les sciences dures sont toujours présentes lorsque je me penche sur une œuvre littéraire ou artistique, et je suis tout naturellement intéressé par les auteurs qui ont la même préoccupation9.
    J’ai toujours senti que les sciences dures et les lettres n’étaient pas nettement séparées. L’intrusion de la littérature dans ce qui n’est pas sensé en être – science, journalisme… – m’a toujours semblé révélatrice. Alfred Jarry s’en donne à cœur joie10. (Le public – ne pouvant plus se contenir – se lève comme un seul homme et chante à tue-tête « L’Hymne des Palotins ». Le jury tente sans succès de ramener le calme. Après les derniers couplets, l’impétrant reprend en main les feuilles blanches sur lesquelles il fait semblant d’avoir rédigé son discours.)
    On apprend l’histoire des paradigmes, et avec chaque modèle, la vision du monde change. Le monde avant Copernic, le monde après Newton, le monde non-euclidien. Le monde assimilant l’avènement de la photographie. L’effet des paradigmes sur le cerveau me paraissait plus important que la loi physique ou l’invention elle-même. Chaque originalité apporte son lot de potentiel. 
    Tôt, je voulais penser la littérature selon des modélisations mathématiques. Repérer dans les romans des courbes fondamentales11, car je croyais que les courbes cartésiennes se retrouvaient forcément dans la structure de la pensée humaine. Un exemple. Vers 1988 j’avais projeté d’étudier les mathématiques dans le roman Watt de Samuel Beckett. L’auteur se sert de la théorie combinatoire et provoque le rire. Ainsi, il met en place des situations dans lesquelles une série non infinie commence à être épuisée, il ajoute alors des éléments de telle sorte que les combinaisons possibles augmentent de façon exponentielle. Il n’est pas nécessaire à l’auteur de faire la liste complète des nouvelles combinaisons une fois qu’il est clair qu’elles ne peuvent pas être comptabilisées aisément. Le gradient de la courbe qui provoque le rire est assez pentu12. 
    L’exemple le plus extrême étant les permutations du mobilier de Knott, sur le flanc ou sur le ventre ou sur le dos ou les quatre pieds en l’air, soit près de la fenêtre, soit près du feu, soit près du lit soit près de la porte, soit 24 permutations pour le placement multiplié par 24 permutations pour l’orientation, et c’est après une énumération de deux pages et demie que Beckett mentionne les chaises et les coins, portant le nombre de permutations de 576 à 82 575 360 (soit 8!/2! x 46). Peu importe les chiffres (soulagement), c’est l’accélération des permutations qui compte, et la satisfaction du lecteur lorsque Sam l’informe que le lit est « clamped to the ground »xiii. Je voudrais expliquer maintenant ce double phénomène que j’avais perçu à l’époque, cette ascension vers l’infini et la chute, car il est intimement lié à ma façon de voir14. 
    Le petit rajout à la fin d’une série tient alors la place d’un signe, soit l’infini soit zéro. Il est intéressant de faire la liste de ces signes, dont voici un échantillon. À la fin de toutes les motivations possibles ayant poussé Watt à descendre du bus avant sa destination : « Perhaps he is off his head »15. En remontant les générations antérieures, énumérées par Arsene : « An excrement ». À la fin de la série des endroits du jardin – fleurs ou potager – où Watt doit verser le précieux engrais : « the dunghill ». L’infini se dérobe aux regards et nous sommes à chaque fois ramenés brutalement à terre. L’imaginaire et le réel, toujours. Il y a au départ une tentative d’échapper au monde de Newton, au royaume de la mort, où tout est connu ou connaissable, où toute conséquence est prévue par ses causes, où tout est moment, collision, chaos apparent, lumière, chaleur, son, silence, néant. Dans les mots de Watt : 

all the incidents of note […] developed a purely plastic content, and gradually lost, in the nice processes of its light, its sound, its impacts and its rhythm, all meaning […].

Ce monde entropique et newtonien est le royaume où la mort a le dernier mot. D’où l’intérêt que nous avons pour les histoires qui échappent à ses lois. D’où la propension de Mr Arthur de raconter son histoire de Mr Nackybal lorsque « the mysteries, and fixity » du monde sont « more than he could bear », puis de laisser son histoire avant la fin lorsque « the mysteries, and fixity » de l’imaginaire sont « more than he could bear ». On perçoit ce double mouvement dans la poésie de Georges Rodenbach lorsqu’il s’attaque à l’immortalité de l’âme : le principe de réalité prévaut sur le mensonge poétique qui lui permettait de dénier le deuil, il l’affirme, et pourtant il continue à explorer la poésie des reflets et de la consolationxvi. Le couple imaginaire/réalité suit un mouvement pendulaire qui ne connaît pas de terme.

*

Mais je me suis éloigné de mes trois ans (le public se réveille). Je me souviens encore de l’expérience de ne pas comprendre tous les mots que l’on me disait. Bruit bruit bruit mot. Il n’y a qu’à écouter le babil des enfants qui ne parlent pas encore ; ils imitent le blabla qu’ils entendent. Je pensais en image, en images dynamiques, en superpositions d’images, par le déplacement de mon point de vue, par le contrôle d’un rêve éveillé. J’en concluais que les gens utilisaient les mots parce qu’il était impossible de communiquer à autrui les images dans la tête. La communication par l’image, la logique des images, doit rappeler à tout le monde cette période de l’enfance pendant laquelle la pensée est principalement en images. Je suis toujours à faire la part entre la communication par les mots et celle par les images. 
    À trois ans, la pensée visuelle est plus développée que la pensée par les mots, surtout lorsqu’on n’arrive que très tardivement à la parole, comme c’est souvent le cas dans une famille bilingue. Je conclurai alors avec deux expériences liées à la vision. 
    L’enfant qui se demande où il se trouve exactement, conclut généralement que son être intime se situe derrière ses yeux. C’est à cause de cela que les petites filles arrachent les yeux de leurs poupées pour voir ce qu’elles ont dans la tête. Or, dilemme pour moi enfant, personne ne peut voir sa propre tête. Elle est invisible, et les miroirs ne font qu’exaspérer la chose. Mais la tête d’autrui n’est pas invisible. Conclusion : ce que voient les gens, en me regardant, n’est pas la vérité, car ils devraient voir l’invisibilité de ma tête. Une fois dépassé ce solipsisme, pendant lequel je me plaisais à imaginer l’invisibilité de la tête des autres, j’ai voulu voir ce que je voyais tel qu’un autre le verrait, et voir ce qui est pour moi invisible. D’où l’intérêt d’étudier les photographes qui impriment leur vision.
    On apprend à lire selon l’histoire, les conditions de production, le travail du photographe, et la psychophysiologie de la vision. Mais rien ne vient à bout de la subjectivité du point de vue. Autant décortiquer un rêve. Pour Freud, il restait toujours ce qu’il appelait le « nombril » du rêve, la partie qui remonte vers on ne sait où, autant dire « Ève », un vortex sans issue. Car dans l’acte de regarder il y a une part de projection, comme il y a une part de reconnaissance, et que reste-t-il alors de ce qui s’offre à la vision ? On ne saura jamais ce que voient les autres, pas plus qu’on ne peut voir l’inconscient. La projection, en définitive, me paraissait un royaume plus mystérieux et plus immense que les lois optiques.
    Projection et reconnaissance. Lorsqu’on regarde, on ne fait que reconnaître, sans voir. Une photo qui me sert de pierre de touche est celle de Tricia Fisher dans le cadre du projet « Art in Action » à Bootle vers 1980, représentant deux vieilles femmes grimaçantes, deux sorcières. Pourquoi cette photo ? Parce que je doute que leur laideur caricaturale ait été vue par l’enfant qui a pris la photo de sa mère17. Il me fallait donc des défenses contre le solipsisme des yeux (en apprenant l’histoire de la photographie, la géométrie de la composition, la psycho-physiologie de la vision), et une connaissance du mécanisme de la projection. Ce dernier est donc le sujet du livre en cours sur la peinture.
Les images dans la tête, l’apparente primauté de la vision et ses limites, la mémorabilité, l’autoréflexivité, les lois physiques, ces idées enfantines ont été formatrices, jamais abandonnées, toujours actives, toujours des mystères que je suis obligé de résoudre. Elles ont évolué vers une épistémocritique, inspirée de Hofstadter, caractérisée par l’identification de « patterns », qui sont comme les lois de l’imaginaire et de la projection. Chaque « pattern » est au croisement des champs de savoirs, qu’il sied d’identifier.
Je vous remercie.


La salle se lève et entonne « La Chanson du Décervelage »


NOTES


1. « […] we stood talking for some time together of Bishop Berkeley’s ingenious sophistry to prove the non-existence of matter, and that every thing in the universe is merely ideal. I observed, that though we are satisfied his doctrine is not true, it is impossible to refute it. I never shall forget the alacrity with which Johnson answered, striking his foot with mighty force against a large stone, till he rebounded from it,—“I refute it thus.” » (James Boswell, The Life of Samuel Johnson, Dent, Londres, 1949, t. 1, p. 292.)
2. Géométrie non euclidienne, les espaces de Riemann (qui sont plats tout en étant mathématiquement courbes), l’espace-temps, les objets à n dimensions, ou tout simplement la racine des nombres négatifs, et les différents infinis.
3. H.G. Wells, « The Rediscovery of the Unique », in The Fortnightly Review, Vol. L, n. s. (juillet 1891) pp. 106‑111. Tr. fr. par P. Ed. sous le titre « Éléments de Pataphysique », Iodure de Navare, Paris, 2066 [vers 1999]. Voir aussi P.Ed, « H.G. Wells, Jarry et l’atome bouffon. Essai d’épistémocritique », in L’Étoile-Absinthe, Bulletin de la Société des Amis d’Alfred Jarry, nos 83‑84 (automne 1999) pp. 61‑65.
4. Voir le « Répertoire » à la fin de P.Ed, Soleil noir. Photographie et littérature des origines au surréalisme, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2008.
5. Est paru depuis : Rock Photography. Cover Art from The Beatles to Post-Punk, Ouphopo Éditeur, Paris, 2011. 
6. Voir « Henry Peach Robinson. Les Poètes et la photographie », dans P.Ed, Je Hais les photographes ! Textes clés d’une polémique de l’image 1850-1916, Anabet, 2006, pp. 291‑296 ; et le chapitre xvi de Soleil noir. 
7. « Jarry et William Thomson : la construction visuelle de la machine à explorer le temps », in L’Étoile-Absinthe, nos 95‑96 (automne 2002) pp. 69‑88.
8. Voir Soleil noir, chapitre viii.
9. Comme Samuel Beckett qui, dans Watt, compose un poème lyrique sur « Fifty two point two eight five seven one four two eight five seven one four », soit la division 366 par 7. Le chiffre étant 51 1/7 au deuxième couplet, on peut supposer que le troisième couplet, qui ne figure pas dans le livre, amènerait une année de 50 semaines. Sauf si le décompte continue pour 44 couplets (« till all the buns are done / and everyone is gone / home to oblivion », p. 34).
10. Voir P.Ed, « Introduction », Siloquies, Superloquies, Soliloquies and Interloquies in Pataphysics, dans Collected Works of Alfred Jarry, t. 1, Atlas Press, Londres, 2001, pp. 219‑269 (surtout pp. 221‑223) ; et « Faustroll : Portrait of the Author as a Pataphysician », dans Collected Works of Alfred Jarry, t. 2, Atlas Press, Londres, 2007, pp. 119‑126.
11. Honni soit qui mal y pense. 
12. À la page 27 de l’édition anglaise (Calder, 1976), la série de Fibonacci se lit en filigrane. Watt entend des voix, « singing, crying, stating, murmuring », et Beckett liste, sur le quart d’une page, 14 de leur 15 combinaisons par 1, 2, 3 et 4 :

Now these voices, sometimes they sang only, and sometimes they cried only, and sometimes they stated only, and sometimes they murmured only, and sometimes they sang and cried, and sometimes they sang and stated, and sometimes they sang and murmured, and sometimes they cried and stated, and sometimes they cried and murmured, and sometimes they stated and murmured, and sometimes they sang and cried and stated, and sometimes they sang and cried and murmured, and sometimes they cried and stated and murmured, and sometimes they sang and cried and stated and murmured, all together, at the same time […]

Beckett observe l’ordre mathématique : A, B, C, D, AB, AC, AD, BC, BD, CD, ABC, ABD, BCD, ABCD (en omettant seulement ACD). Puis il clôt la liste en disant : « to mention only these four kinds of voices, for there were others. » Il suffit d’une cinquième voix pour que la liste exhaustive des combinaisons possibles passe de 15 à 31, et, si l’on passe de 4 voix à 14, il faudrait, pour rédiger les 16 383 permutations, plus de 100 pages de plus que le roman n’en contient.
13. Page 207. Beckett liste correctement les 81 apparences de Knott (4 substantifs ayant chacun 3 adjectifs possibles, soit 34) sur plus de deux pages, puis il introduit 4 adjectifs pour 8 substantifs, laissant prévoir 65 536 possibilités (48) et 5 308 416 combinaisons. Ce vertige est alors ramené à des combinaisons décroissantes, terminant sur un seul phénomène de Knott, le rot. Ainsi, les courbes dans Watt tendent vers l’infini et chutent vers l’unicité ou le zéro.
14. Les formules de Beckett sont correctes et relèvent des mathématiques élémentaires. Lorsque les cinq personnes du comité réuni pour examiner comment Thomas Nackybal, qui compte encore en utilisant ses doigts de pieds, arrive à tirer, par intuition mathématique, « the maximum of nourishment […] from the ancestral half-acre of moraine […] for himself and his pig » (p. 173) et les racines cubiques, les cinq personnes, A, B, C, D, E, jettent un regard sur chacun des autres, sans arriver à échanger de regards. Beckett comptabilise 20 regards, puisque AB≠BA, alors que 10 regards auraient suffit si les regards avaient été échangés (AB=BA). Beckett fournit même la formule : « x squared minus x looks if there are x members » (p. 179), soit 52‑5=20 pour 5 membres, 30 pour 6 membres, 42 pour 7, 56 pour 8, 72 pour 9, etc. Soit, pour chaque rangée de la série de Fibonacci, la troisième colonne multipliée par 2 (puisque AB≠BA et les regards ne sont pas échangés). Or le comité, ayant épuisé ses 20 regards et n’ayant pas échangé de regards, recommence à nouveau, et Beckett recommence avec les cinq premiers de la liste des 20 nouveaux coups d’œil, tout en récapitulant pour chacun ses regards précédents et les regards ratés des autres. Ainsi il avance en reculant, la récapitulation croissant de façon beaucoup plus volumineuse que l’ajout des nouveaux regards, donnant ainsi au lecteur l’impression qu’une courbe asymptote l’attend au tournant, comme Achille derrière la tortue. 
La liste dans Watt s’ouvre ou, plus fréquemment, se ferme sur ce qu’on pourrait appeler la « situation zéro » des combinaisons. Les 12+11+10+9+8+7+6+5+4+3+2+1 possibilités de se chausser sont données – pour la première fois dans le roman – dans une énumération décroissante, en 12 phrases de plus en plus brèves, et se termine « And sometimes he went barefoot » (p. 201). Ces phrases qui viennent à la fin, évoquent le dénuement, la folie, l’excrément, et tout le roman, me semble-t-il, tient dans le fait qu’ils remplacent le dernier terme (zéro ou infini).
15. À la fin de la liste des possibilités d’entrer dans la maison de Knott, « Unless he had got in through a window » (p. 35). 
16. Voir le chapitre iii Soleil noir.
17. Je n’ai pas la preuve qu’il s’agisse de sa mère et de sa voisine, mais c’est ainsi que j’ai toujours interprété la photo (Art in Action, An Arts & Action Publication, Bootle, 1980, p. 12).