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Discours de soutenance de thèse d'OuPhoPo


prononcé devant les membres fondateurs de l'OuPhoPo,

quelques amis et un jury de thèse,


en la fête du centenaire de la générale d'Ubu Roi

le … (9 décembre 1996 v.)

Ou

Pho

Po

I


Je voudrais dire ici pour commencer les raisons qui m'ont poussé à écrire cette thèse, les critères de mes choix, les contraintes qui m'ont limité.

Peut-être me faudrait-il citer en préambule, une lettre écrite par un professeur d'Oxford à propos d'une dissertation que j'envisageais de faire sur "Roland Barthes et la Photographie", qui m'informait en termes courtois mais définitifs que ce sujet n'était pas acceptable pour un département de lettres, car (je cite) "la photographie n'a aucun lien avec la tradition littéraire anglaise".

Plus tard, étudiant en photojournalisme à Londres, je me suis heurté à la même incompréhension, les photographes trouvant difficile de faire valoir l'image auprès des rédacteurs en chef, diplômés de lettres, puisque, par définition pour ceux-ci, la photographie n'a pas de valeur littéraire, ne sert que de support au texte. La culture photographique est encore sous-développée, cela au moins est reconnu. La lecture, ou les commentaires que suscitent les photographies de presse sont parfaitement caricaturaux. En gros, cette lecture se caractérise par sa rapidité. On ne "lit" pas une photographie, c'est là une confusion de termes.

Je me suis donc tourné d'une part vers la théorie de la photographie et d'autre part vers les études littéraires, dans le but de sonder les rapports entre la photographie et la littérature.

Je parle bien sûr du vrai photographe, de l'artiste. Un changement en soi-même survient aussi quand on pratique la photographie d'une manière continue. On a cesse d'avoir à expliquer ce qu'un photographe sait par intuition, ou par technique, ou par les contraintes de sa profession. Qui sait, en effet, reconnaître une citation, ou le "style maison" d'un journal?

Il m'apparut alors qu'il fallait franchir trois obstacles, trois idées reçues concernant la photographie qui empêchent de la comprendre. Il s'agit bien sûr d'idées populaires.

La première, c'est le lien, pour beaucoup fondamental, entre la photographie et la mort ou le rappel de la mort.

La deuxième, c'est que toute photographie est, a priori, réaliste et que tout ce qui relève de la fiction relève du mensonge.

La troisième, c'est que la photographie est comme une empreinte, une trace, et qu'elle révèle une présence pour les mystiques, ou une absence pour les esthètes de la mélancolie.

Ces idées, devenues des mythes, sont toutes vraies dans la mesure où elles peuvent être vraies à l'occasion d'une œuvre particulière. Mais elles ne doivent en rien constituer les bases d'une définition de la photographie en général.

Il m'a semblé utile alors de présenter la photographie plutôt comme une potentialité, de montrer que les écrivains concevaient l'art photographique chacun à sa manière, selon ses propres idées dans le contexte de ses œuvres. Je me suis donc intéressé aux écrivains qui ont eu un contact direct avec des photographes et aux idées qu'ils ont exprimées à propos de la photographie. Et il m'a fallu choisir.

Deux grandes lignes se sont dessinées à travers les 150 ans de la photographie. La plus évidente, c'est la tradition documentaire, qu'on pourrait nommer tradition réaliste. On y trouve les collaborations entre écrivains et photographes à propos des conditions sociales, de l'histoire d'un pays, d'un peuple. La photographie a un rôle de témoin, de mise en évidence et se doit d'être avant tout claire. Ce terrain est bien dégagé aujourd'hui et ne cesse d'être exploré. Je l'ai donc laissé de côté.

Il existe un deuxième courant plus difficile à définir et moins étudié, et il m'a semblé essentiel de l'examiner. C'est ce que j'appelle, pour le distinguer du "réalisme", l'imaginaire, où la photographie s'attache à la fiction.

Il était temps d'écrire sur la photographie subjective pour montrer à quel point elle peut être fictive. J'ai donc été amené à traiter de l'inconscient, de l'imaginaire, de l'idéalisme et du rêve éveillé. L'image peut même être la vision d'un personnage fictif — on ne l'a guère vu — et la photographie est alors très proche de la littérature. Quant au rêve, il ne s'agit pas seulement d'une image de désir ou de fantasme, mais bien d'une image surdéterminée comme l'image mentale onirique ou comme une image poétique. Il est donc tout à fait justifié de considérer l'image photographique comme un lieu de débat littéraire à propos du monde irréel romanesque, symboliste, néo-platonicien ou matérialiste.


II


La méthode employée est inductive. Elle part de faits d'observation et non d'une idée préconçue.

Je voulais trouver plutôt qu'imposer l'idée de la photographie qu'ont eue écrivains et photographes. Je savais aussi qu'en allant à la découverte de ce que pouvait être les relations photo-littéraires, il fallait m'attendre à de grosses surprises, et j'en ai eu.

Ma première surprise arriva quand l'éditeur anglais Alastair Brotchie m'envoya chercher l'édition originale de Bruges-la-Morte — roman dont j'ignorais jusqu'au nom —, car il voulait le faire traduire et l'éditer avec les illustrations d'origine. En le lisant, j'ai découvert que Rodenbach avait déjà exploré en 1892 l'atmosphère mortuaire que la photographie était censée dégager. Rodenbach répondait déjà pleinement à quelques problèmes de la théorie photographique d'aujourd'hui.

J'aurais pu me limiter à l'étude de cet ouvrage. Mais je m'étais fixé comme but de montrer que les liens entre la photographie et la littérature pouvaient être indirects aussi bien que directs. Me limiter à un roman illustré aurait réduit la portée des interférences photo-littéraires, et je tenais à prouver que la photographie peut être une influence littéraire sans même être mentionnée.

J'ai évidemment choisi aussi les poèmes de Rodenbach puisqu'on sait qu'il s'est inspiré de la photographie. Et le poète ne met-il pas en scène la théorie des spectres (chambre obscure, déclic, envol du spectre, captage de l'âme immortelle sur la surface réfléchissante), véritable leitmotiv de la théorie photographique du XIXe siècle?

Le spiritisme littéraire et photographique de Rodenbach avait alors besoin d'être compensé par un regard plus moderne, plus scientifique. Je me suis tourné vers Paul Valéry.

L'intérêt que Valéry portait à la chronophotographie est connu. C'est un cas d'étude qui s'impose naturellement, d'autant plus qu'il traite du temps : le temps arrêté, et sa fonction dans le symbolisme.

J'ai abandonné à regret un chapitre sur Yeats. Il était trop spéculatif — bien qu'intrigant — d'imputer la crise du dualisme corps/âme à la seule expérience de poser pour un portrait.

Le thème du temps est plus solide chez Valéry qui avait clairement réfléchi aux paradoxes de l'expérience du temps dans l'art et dans le corps. Il parle de l'aspect scientifique dans sa prose, je me suis efforcé de le suivre dans quelques poèmes clés.

Le problème avec les références implicites à la photographie, c'est que la photographie n'est pas une mention "noble", et que si cet art soi-disant scientifique est pour un poète un objet d'étude ou une référence qu'il ne faut pas oublier, ce n'est pas pour autant un objet digne de lui. Cela revient souvent dans l'histoire des relations photo-littéraires (dans la période qui m'intéresse). Chez Valéry aussi la référence photographique est occultée.

Ainsi le champ s'est élargi naturellement par contrastes successifs : les relations indirectes suivent les relations directes. La littérature s'est approprié la photographie. Ne pouvait-on pas élargir encore le champ du discours en regardant l'appropriation de la littérature par quelques photographes? Leur effort d'illustrer mais plus encore d'interpréter la littérature méritait d'être signalé. Mais un problème de taille demeure : lire une photographie, n'est-ce pas la voir comme une œuvre littéraire? Nous revoilà à cette "erreur de catégorie" qui mettrait des images photographiques dans un département de lettres. Le plus sage, dans un premier temps, était donc de choisir les images les plus commentées, et celles qui sont toutes parues accompagnées de textes littéraires réédités.

Cameron et Coburn s'imposent car leurs collaborations avec des écrivains sont déjà devenues incontournables. Ma méthode d'approche était simple au début : réinsérer l'illustration dans le contexte de tout le poème (ou de toute l'œuvre) d'où était tirée la citation qui l'accompagnait.

Robinson fut une découverte. Au début je cherchais à savoir si Robinson avait rencontré Hawthorne au moment où ils habitaient tous deux à Leamington Spa en Angleterre. Recherche infructueuse. Je me suis posé beaucoup de questions sur ce photographe qui mettait un an pour faire une image composite.

La deuxième surprise fut le livre de Wells illustré par Coburn, encore lu par acquis de conscience, en me demandant — comme pour Robinson —, comment chaque illustration s'intégrait dans chaque histoire, puis dans l'œuvre de Wells à cette date. Même si le résultat est enrichissant, un problème demeure, qui concerne toute lecture de photographies dans un contexte littéraire. Ce n'est pas exactement le problème de l'intentionnalité, mais plutôt celui des effets holistiques. Si vous mettez ensemble deux œuvres (photo et histoire), la somme des lectures possibles est plus grande que la somme des œuvres. le surplus est le résultat d'une intertextualité bornée par trois choses : 1° notre connaissance de ce que le photographe aurait pu lire ; 2° les écrits du photographe concernant l'envergure qu'il conçoit pour son art ; 3° la volonté de laisser l'image indéterminée. En fait, il n'y a pas de troisième borne, il est dans l'intérêt du photographe d'ajouter quelque chose d'extérieur au texte, ou seulement suggéré par le texte, afin de provoquer plusieurs demi-réponses qui ne peuvent pas être résolues. Un exemple serait l'image de Pamela lisant (dans le roman, Pamela ne lit pas) : ou bien il s'agit d'un cliché, une image éculée et rien de plus ; ou bien c'est une énorme provocation de la part de Robinson. J'ai suivi la piste de la provocation. Un critique professionnel aurait certainement préféré une théorisation dans la lignée de Harold Bloom et de son "anxiété d'influence". Cette dernière expliquerait que le photographe cherche à rendre le texte "père" — à entendre dans le sens oedipien — indéterminé, et c'est ce qui importait, sans tenir compte du résultat. J'ai préféré suivre les pistes que Robinson ouvrait, comme s'il s'agissait d'un jeu surréaliste, avec comme seule excuse qu'il fallait bien que quelqu'un le fasse. Le résultat n'était pas un aller-retour du hasard au hasard, puisqu'il me semblait qu'une tension était entretenue entre un désir de transcendance et un retour au réel. C'est-à-dire que Robinson répétait dans ses thèmes le débat contemporain sur les aspirations légitimes de la photographie, et c'est surtout cela qui a guidé mes lectures de ses images surprenantes.

Breton et les éditions Nilsson se sont avérés nécessaires pour amener l'étude à l'ère moderne avec ses nouvelles méthodes de reproduction. Le choix des photographes, d'ailleurs, permettait aussi de donner une idée de l'évolution des moyens de reproductions durant cette période : tirages d'exposition ; album aux tirages collés ; magazine (reproduction photomécaniques) ; frontispice ; roman illustré.

Quant à Joyce, le chapitre que j'avais prévu m'aurait entraîné trop loin. Comme la photographie pour lui était systématiquement un objet de rejet, j'ai préféré utiliser son argument majeur et montrer qu'il marque un changement radical et apporte un éclairage nouveau, qui me sert de conclusion. On passe de Baudelaire qui ne souhaitait pas que la photographie touche à l'art et à l'Idéal, pour arriver à Joyce, qui présente l'Idéal comme une construction produite par l'art et la photographie. Très brièvement, dans la conclusion, je désirais clarifier mes propres théorisations, plutôt que de les développer dans de nouvelles directions. •

Que dire de ce que j'appelle l'annexe — le deuxième volume? Au cours de mes recherches, j'avais accumulé un tel gisement de renseignements, qu'il m'a semblé utile de les ajouter à la thèse, afin d'en faire profiter d'autres chercheurs éventuels. L'annexe se présente en volume séparé afin que le lecteur puisse plus aisément le garder ouvert pour référence, chapitre par chapitre.

Mon idée était aussi de fournir au lecteur suffisamment d'informations pour lui permettre de réagir et de vérifier certains détails pour lui-même s'il en éprouvait le besoin.

Comme les images que j'étudie ne sont pas faciles à localiser, il m'a semblé important de fournir une photocopie de toutes les images essentielles à la recherche. J'ai reproduit, ou dressé moi-même le cas échéant, les tableaux des titres et des localisations des images et documents étudiés.

L'annexe est donc en partie un outil qui oriente, mais elle est aussi le lieu qui rassemble les annotations et les réponses à des questions le plus souvent techniques soulevées par l'étude, qui tout en étant toujours très à propos, auraient encombré les chapitres.

La bibliographie de la photo-littérature sera pour tous les chercheurs une œuvre en cours pendant encore longtemps. Sans aucun doute la meilleure manière de procéder sera de lui donner une forme hypertextuelle et de la mettre à disposition sur le Web afin que tout le monde puisse y avoir accès facilement et constamment, et afin aussi de l'augmenter de façon efficace.

L'hypertexte consistera à fournir : les références croisées ; les biographies ; les illustrations ; la bibliographie critique ; etc..

La bibliographie en deux parties, littérature et photographie, tente de maximiser les références croisées, de renvoyer, pour un auteur, à des photographes, et vice versa.

L'inclusion d'idées critiques en forme d'annotations au sein de la bibliographie est un moyen d'éviter la fragmentation dans le corps du texte.


III


Certaines parties de l'annexe montrent la difficulté de poursuivre une recherche qui touche deux pays ; mentionnons seulement ceux de l'accès aux photographies, au grand nombre d'articles, puis aux livres qui ne sont plus dans le commerce, rarement dans les bibliothèques, et parfois reproduits sur microfiches avec leurs illustrations en négatif.

Toujours dans le registre technique : les commentaires sur les photographies dans Bruges-la-Morte nécessitent beaucoup de nuances. La trentaine retenue pour le roman représente zéro virgule trois pour cent des images comparables de Bruges des maisons Lévy et Neurdein. Il fallait voir les négatifs. Puis il fallait savoir comment naviguer à l'intérieur d'une collection dont le catalogage évoluait constamment. •

L'examen des éditions posthumes illustrées de Bruges-la-Morte révèle que les photographies originales ont marqué les illustrateurs. •

Pour revenir au plan : il était difficile de choisir pour constituer entre les deux pays, avec des auteurs variés et de différentes époques, une lignée d'auteurs pour lesquels la photographie commençait là où le documentaire finissait. Le champ des possibilités est très vaste, il était nécessaire d'éliminer certaines études trop longues ou trop répétitives.

Malgré l'apparente disparité des auteurs choisis pour cette étude, leurs cas respectifs se sont imposés pour des raisons à la fois particulières à eux — ce qui permet de dégager les extrêmes — et particulières à la tradition — ce qui permet de dégager les constantes.

La tradition reste encore un mot difficile à employer pour ce genre d'étude. Les œuvres sont isolées et ne font pas référence à leurs prédécesseurs, et leurs auteurs ne commentent pas leur double discipline, même quand Coburn expose les images de Cameron, ou quand Breton imite à sa manière la production Nilsson. Mais il ne faut pas pour autant penser qu'il suffit d'attendre les années vingt ou trente et l'enthousiasme des modernistes pour la photographie et les maquettes seyantes pour voir apparaître une vraie tradition, car une tradition n'est nullement fondée par son premier moment de théorisation.

La théorisation des relations photo-littéraires est implicite dans les œuvres étudiées ici, et la réflexion implicite m'a semblé plus riche chez ces auteurs que dans les manifestes plus explicites.

Il est néanmoins difficile de présenter un corpus qui ne soit pas strictement chronologique. L'inspiration de mon modèle vient de T.S.Eliot et de son essai "Tradition and the Individual Talent" de 1919, qui fait état de traditions rétrospectives. Ce qui justifie le rapprochement est ici l'attention individuelle qu'ils ont apportée à un objet commun, la photographie subjective. •

Les échanges entre la France et l'Angleterre sont pratiquement inexistants dans le domaine de la photo-littérature. Si les œuvres sont traduites, les illustrations photographiques sont très rarement reproduites car trop onéreuses. C'est encore un problème aujourd'hui, et les éditeurs parisiens, contrairement aux éditeurs américains, sans doute pour cette raison, ne s'intéressent pas à la réédition des œuvres littéraires illustrées par la photographie. •

Quant à la question religieuse, puisque la photographie pour beaucoup a un rapport avec la mort ou avec l'âme, ou encore avec le mystère qui entoure une relique, il est normal que cette question sous-tende bien des œuvres, qu'il s'agisse de Christianisme, catholique ou protestant, de références bibliques, ou tout simplement d'une idée de l'au-delà, ou d'un pur fétishisme — on hésitera toujours à déchirer un portrait. •


La spiritualité éclairait en quelque sorte ma recherche, et quand cela était un moteur pour mes acteurs — écrivains et photographes —, j'ai dégagé les trames qui importaient à la photo-littérature. La photographie comme la littérature va au fond des problèmes, grâce à son imaginaire ; et puisque mon sujet est la tradition de l'imaginaire et non pas celle du réalisme démystificateur, bien des mystères sont évoqués auquel je ne pouvais répondre qu'en indiquant une source probable, traditionnelle, de telle ou telle idée. Le problème était de savoir trouver des limites une fois engagé dans des questions qui préoccupent tout le monde. •



IV


Il résulte de cette étude deux nouvelles approches de la photographie : 1° le modèle wittgensteinien de la "famille de ressemblances" pour remplacer chez les théoriciens les pulsions définitionnelles et essentiellistes ; 2° l'idée de la potentialité, qui évoluera selon les contraintes, le contexte historique, les discours esthétiques qui ont influencé ce que l'on pouvait penser faire avec la photographie, ou les nouvelles contraintes que l'on inventera.

Une méthode inductive peut conduire à des résultats disparates, puisqu'on respecte la particularité de chaque auteur, et qu'on cherche aussi à bien lire cet auteur et non pas seulement à se servir de lui pour la cause de la théorie. Mais au-delà des variations, l'on voit ici que certaines idées de la photographie reviennent comme des leitmotive, à chaque fois qu'elles sont appropriées par un écrivain : celui qui poétise la théorie des spectres photographiques (Balzac et Rodenbach) ; celui qui écrit sur la prévisualisation, la vision géométrique ou symbolisante (James et Valéry) ; celui qui a la hantise de l'immobilité, et du futur antérieur dans l'instant (Valéry et Breton) ; celui qui face à la mécanisation de l'expérience de la vision s'en défie (Baudelaire et Valéry) ; celui qui s'en sert pour ses mélodrames (les auteurs Nilsson) ; le romancier qui sent comme le photographe que sa vision doit faire part de l'invisible (Breton et Wells, comme Cameron et Coburn) ; puis le romancier qui se voit flâneur, marchant dans un monde devenu fantastique, soit parce que le monde ressemble à une photographie (Rodenbach), soit par ce que le monde lui apparaît comme la photographie d'une image de rêve (Breton), soit encore parce qu'il compare son image rétinienne à celle d'une chambre noire (Valéry et Joyce), pour invoquer Platon (Valéry) ou Berkeley (Joyce).

Une idée en particulier revient souvent, c'est celle qui a fondé cette recherche, elle affirme que la photographie dans un contexte littéraire renvoie à l'imaginaire. Pour répondre à la première question : il y a bien un lien entre la littérature et la photographie.

Les trois idées populaires (ontologie ou trace, mémento mori, réalisme lié à une mécanique objective) tarderont à disparaître, d'autant plus qu'ils influencent encore la photographie contemporaine. Mais acceptons-les comme des mythes, des histoires, car il y a un plus grand intérêt et une plus grande justice à voir la photographie comme toujours fictive. •

Le modèle wittgensteinien permet de ne pas devoir tenir l'aspect matériel du dispositif photographique comme la condition nécessaire et suffisante pour faire la photographie. (À différentes époques on a parlé de fixer l'image, maintenant on parle de l'empreinte photonique.) Au contraire, chaque définition de la photographie appelle à la création d'une nouvelle forme de photographie qui éliminera précisément cette définition, ou cet aspect matériel. •

La photographie sera potentielle ou elle ne sera pas.

C'est donner à l'image photographique, à la prévisualisation aussi, la possibilité de réfléchir sur elle-même, et de parler de ses propres contraintes. Les expérimentations des années 20 ou 30 furent des métaphotographies qui, jouant avec des miroirs, ont montré qu'elles étaient plates et qui, jouant avec la superposition de négatifs, ont montré qu'elles étaient des projections/tirages, les angles extrêmes faisant valoir leur perspective unique et ainsi de suite… cette métaphotographie était tournée vers la contemplation du simple dispositif matériel. C'est primitif. Ne doit-on pas prendre les images figuratives au deuxième dégré? Dans la poésie, certains objets symbolisent l'activité poétique (on peut citer les tombeaux et les communions, les coquillages et les mains, les lampes et les maisons). Établissons la même équation dans la photographie : ainsi, l'objet photographié égale une forme possible pour la photographie. Par exemple, les nombreux autoportraits avec objectif globulaire qui tient ostensiblement la place d'un œil, figurent l'internalisation de la vision photographique par l'œil humain, ce qui met l'accent sur la prévisualisation comme la partie déterminante de l'activité photographique. Un autre exemple, les photographies demandées par Breton : le musée de cire signifie que le monde sera transformé par la photographie en musée de cire ; la photographie de la voyante présente le monde photographique comme une image qui "va vous raconter de vos nouvelles", pour citer Breton, et ainsi de suite. Cette un exercice de synecdoque.

Le photographe peut s'imposer des contraintes afin de trouver de nouvelles formes possibles : l'exemple le plus clair serait la pose longue de deux secondes, qui oblige non pas à immobiliser le sujet, mais à trouver parmi ses gestes ceux qui tiennent naturellement deux secondes. Un monde de corps en suspension, en réflexion, en oubli du corps, s'esquisse alors.

À chaque contrainte correspond un monde imaginaire. Les écrivains que j'ai étudiés l'avaient compris.


[L'assemblée entonne la Chanson du décervelage. Champagne.]